Surmonter les défis de l’UX pour les outils d’entreprise
De la complexité à la politique interne, aux silos et à la stratégie UX en 12 points clés.
L’UX des outils, utilisés par des employés au quotidien, ce n’est pas juste de « l’UX classique à plus grande échelle ».
On doit affronter des systèmes archaïques, de la complexité des données, de la politique interne, et 17 types d’utilisatrices, qui veulent toutes faire des trucs différents, sur le même outil. Et ça, c’est avant même d’avoir commencé à designer le moindre écran. Joie et bonheur!
La semaine dernière, j’ai participé à une session de questions-réponses en direct avec UXtweak, intitulée “Overcoming the Challenges of Enterprise UX”. On a parlé de ce qui rend l’UX des outils d’entreprise si spécifique. Comment gérer les outils internes. Comment gagner la confiance des parties prenantes. Et comment survivre dans des organisations qui découvrent encore ce qu’est l’UX en 2025.
Et pour celles qui n’ont pas le temps de regarder 1h de vidéo, je vous résume 12 points clés, tirés de la conversation,
La vidéo (en anglais)
Vous avez raté la session live ? Pas de souci ! Le replay complet, avec toutes les questions du public, est dispo sur la chaîne YouTube d’UXtweak.
J’ai passé un super moment, j’adore ce format interactif. Si vous organisez des Q&A en direct et que vous voulez m’inviter, en français ou en anglais, contactez-moi !
L’UX d’outils d’entreprise, en 12 points clés (tirés de la session)
La session dure environ une heure. Mais si vous n’avez pas le temps, et voulez la version courte, voici les 12 points clés. Chacun est accompagné d’une citation à ressortir en réunion pour faire croire que vous avez tout regardé. Chaque point est accompagné d’une citation que vous pouvez re-utiliser en réunion. N’hésitez pas à me citer si ça peut vous aider !
1. L’UX des outils d’entreprise n’est pas l’UX des outils grand public. L’effet “waouh” n’est pas la priorité.
“Mes utilisatrices se fichent du côté sympa et waouh. Elles veulent avant tout, faire leur travail efficacement.”
L’UX d’outils d’entreprise sert des utilisateurs et utilisatrices internes, comme les employés. En B2C, souvent, nos utilisatrices ne choisissent pas leurs outils préférés: c’est l’IT, ou les achats qui leur impose. L’UX n’est pas là pour optimiser le plaisir, ou le taux de conversion. L’UX est au service de la productivité en entreprise : elle permet la réduction des erreurs, l’amélioration de la fiabilité et de l’efficacité des processus de travail. Les métriques comme « l’engagement » passent après la question : « Est-ce que ça fonctionne sans me faire perdre du temps, ou m’ajouter un risque d’erreur ? »
2. La complexité est réelle. Ne la cachez pas.
“Vos utilisatrices ne veulent pas qu’on simplifie à l’extrême. Elles ont besoin de leurs données.”
Les utilisatrices gèrent souvent des processus complexes, denses et riches en données. « Simplifier l’interface » est séduisant… jusqu’à ce qu’on doive intégrer un workflow avec 4 rôles, 20 colonnes de données de tableur Excel, et six contrôles de conformité dans une interface “simple et épurée”. En design d’outils d’entreprise, la complexité de l’interface reflète souvent la complexité métier et l’historique des systèmes. Et c’est normal. Un bon UX designer, ici, c’est gérer cette complexité, la nier ou tenter de la cacher ne sert à rien.
3. La politique interne est partout : il faut apprendre à naviguer.
“Tu deviens diplomate. Et tu dois comprendre ce qui motive tes parties prenantes.”
L’UX en entreprise, ce n’est pas juste designer pour les utilisatrices, c’est aussi gérer different agendas politiques de parties prenantes, des décisions héritées d’outils précédents, des luttes de pouvoir et des silos. Il faut comprendre qui a quels objectifs, qui bloque quoi, et comment aligner les objectifs UX avec ceux des autres. La diplomatie et la connaissance des dynamiques internes sont essentielles.
Renseignez vous sur les objectifs et KPIs des parties prenantes. Reliez les résultats UX à ces objectifs, et instaurez la confiance en montrant de la valeur rapidement et régulièrement. Évitez de cacher votre travail pour un « grande révélation surprise »: si personne ne sait ce que vous faites et pourquoi, vous allez très vite perdre la confiance des autres dans ce type d’environnement.
4. Débarrassez-vous des effets et biais de groupe.
« Séparez le groupe. Rencontrez les gens en 1:1. C’est comme ça qu’on obtient du feedback honnête et non biaisé»
Les sessions de groupe créent souvent des chambres d’écho. Une voix forte ou senior dit « ça ne marche pas », et tout le monde suit. Ma méthode ? Isoler les retours et idées. Les entretiens individuels révèlent plus de feedback intéressants et honnêtes, sans la pression du groupe. Tuez l’effet de bandwagon. (Et si vous ne savez pas ce que c’est, embauchez moi pour 2h d’atelier sur la découverte des biais cognitifs, ou achetez mon jeu de cartes de biais cognitifs à imprimer)
5. Soyez visible. Soyez présents. Soyez partout.
« La grande révélation à la fin, c’est bien dans les films, pas pour l’UX des outils d’entreprise. Soyez visibles, et présents! »
Ne travaillez pas dans l’ombre. Montrez sur quoi vous travaillez. Partagez des extraits vidéo, vos succès, votre impact. Partagez des extraits et verbatims d’entretiens pertinents (nous, on fait ça sur Teams par exemple). Suscitez la curiosité sur le processus, pas juste sur le résultat. Plus les parties prenantes voient la valeur tôt, moins elles traiteront l’UX comme de la décoration en fin de projet. Rendez votre travail visible !
6. Nourrissez les gens : littéralement et au sens figuré.
« Même si ce n’est pas mon job, j’aide, pour la visibilité et la bonne volonté. »
L’UX dans un contexte d’outils interne, en entreprise, ce n’est pas une question de ce qui est marqué sur votre fiche de poste. C’est une question de relations. Soyez utile, même hors de votre rôle, pour gagner en visibilité et en sympathie auprès des équipes. Aidez quelqu’un à peaufiner sa présentation Powerpoint, si ça vous prend qu’une heure. Participez à cette réunion où vous n’étiez pas invitée. Apportez des snacks aux équipes de devs et de testing. Ces petits gestes créent du lien social, et vous ouvrent des portes. La visibilité crée la confiance. Construisez un réseau solide d’alliées qui défendront l’UX pour vous, avec le temps.
7. Designez pour différents rôles et tâches, pas pour des personas marketing.
« On essaie de proposer des valeurs par défaut qui marchent pour la majorité — et toujours des options pour les petits besoins de niche. »
Pour designer des outils d’entreprise, en général on se moque de savoir que l’utilisatrice aime les chats, le café, et de sa tranche d’âge (les données habituelles de personas marketing). Ce qui nous intéresse, ce sont leurs rôles et les tâches qu’elles veulent accomplir. Une juriste, une chargée de prêts et une analyste risque peuvent utiliser le même écran, mais pour des raisons très différentes. Adaptez le design. Segmentez par rôles ou tâches, puis priorisez les fonctionnalités par fréquence et impact. Utilisez des techniques de progressive disclosure pour afficher certains éléments à la demande aux utilisatrices. Et proposez des options de personnalisation quand c’est possible.
8. La maturité UX prend du temps. Soyez patiente.
“Commencez petit. Montrez des résultats. Soyez patiente !”
Personne ne vous fera confiance, ou accordera du crédit le premier jour. Parfois, on vous appelle pour « rendre l’interface jolie » après le développement. La situation n’est pas idée, mais vous pouvez en tirer profit, en expliquant par exemple, que c’est un peu tard pour vous faire intervenir dans le projet. Et que la prochaine fois, peut-être qu’on pourrait faire intervenir le design en amont, et faire des sessions de test utilisateur sur des maquettes ? Chaque petite victoire est une brique dans le mur de la maturité UX.
9. Pour briser les silos, cartographiez le parcours utilisateur.
« Certains départements ne réalisent même pas que leur partie du processus endommage l’expérience utilisateur globale du produit. »
Certains départements ne voient pas toujours où leur contribution endommage l’expérience utilisateur. Les journey maps et les service blueprints rendent ces failles évidentes, et donc plus difficiles à ignorer. C’est un moyen subtil mais puissant de connecter des équipes qui ne se parlent jamais. Devenez le point de contact entre vos équipes silotées, pour faire avancer tout le monde dans la même direction.
10. La recherche utilisateur est stratégique : elle sert à orienter, pas juste à valider.
« Le produit était utilisable, mais les utilisatrices n’en voulaient pas. Il n’y avait pas de marché. »
La recherche UX n’est pas juste une case à cocher dans le processus de design. C’est aussi ce qui permet de savoir si le produit vaut la peine d’être construit. Dans un environnement d’entreprise, où développer des produits complexes coûte cher et prend du temps, la recherche en amont évite de gaspiller des ressources et met rapidement en lumière les hypothèses bancales. Validez vos hypothèses tôt avec vos utilisateurs et utilisatrices! L’analyse des tâches est pour moi une méthode clé. Ca vous évitera de créer un outil utilisable, mais inutile.
Si vous avez besoin d’un coup de main pour démarrer, j’ai créé un pack d’entretien utilisateur, qui contient des cartes, un aide mémoire et des templates pour vous aider à lancer votre recherche utilisateur en amont.
Accéder au Pack Entretien Utilisateur
11. La collaboration est stratégique.
« Nos analystes business assistent aux tests utilisateurs et prennent les notes, ça leur permet de voir les utilisatrices en action. »
Clarifiez les responsabilités et privilégiez la collaboration, pas la compétition, lorsque vous collaborez avec d’autres métiers tels que des analystes business. Valorisez les contributions et montrez comment l’UX complète les autres rôles. On fait beaucoup de points de synchronisation quotidiens entre équipes de développement, UX et analystes. On utilise également beaucoup de documentation partagée. Impliquer les équipes de développement, stakeholders et analystes dans les sessions de recherche / test utilisateur aide également à l’alignement. La transparence crée une compréhension partagée.
12. Les métriques UX en entreprise mesurent l’efficacité des employés.
« On utilise UMUX-lite pour mesurer l’utilisabilité et l’utilité, et on suit l’évolution. »
Vous n’aurez pas toujours forcement un impact direct sur le taux de conversion, la rétention, ou les ventes par exemple. Mais l’expérience utilisateur pour les outils que l’on créent en entreprise soutiennent la productivité, l’efficacité et la réduction des risques, ce qui impacte indirectement les métriques métier. Sur mon projet, on mesure la facilité d’utilisation et l’utilité avec l’UMUX-lite, mais aussi les taux d’erreur et les tickets support. L’essentiel, c’est de mesurer l’efficacité et l’efficience.
Dernières réflexions sur l’UX des outils d’entreprise
Voilà pour la version courte. L’UX des outils entreprise, c’est le bazar, c’est politique, c’est complexe… et c’est étonnamment fun quand on trouve la bonne approche. Et moi, j’adore ça. Si vous avez besoin d’un coup de pouce pour vous lancer dans des interviews utilisateurs, des tests d’utilisabilité ou cartographier des parcours complexes, j’ai des templates dans ma boutique qui vous feront gagner du temps. J’anime aussi des ateliers à distance ou en présentiel pour former vos équipes, en français ou en anglais. N’hésitez pas à me contacter !
J’espère que vous êtes maintenant équipés un peu mieux, pour survivre dans un environnement, où vous designer des tableaux de 20 colonnes pour 10 types d’employés différents.
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